Au travers de son projet photo « Northern Lights – L’Âme du Nord », Fabrice Wittner valorise la culture Inuit en utilisant des projections en light paintings. J’ai eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions à propos de ce projet artistique ainsi que sur son expédition au Groenland.
Dans cet article :
Bonjour Fabrice, peux-tu te présenter brièvement ?
Bonjour, pour faire bref, je suis un photographe un peu touche à tout, du genre couteau suisse, mais forgé à la main, en bon autodidacte que je suis… La curiosité m’a pousser vers la photo et elle m’a aussi évité de rester cantonné dans un seul domaine, je crois que ça se voit en faisant un tour sur mon site web (ndlr : www.wittner-fabrice.com).
Pendant une bonne dizaine d’années, la photo de sports outdoors a été mon fil rouge, à côté de ça, je découvrais d’autres facettes de la photo. J’ai toujours apprécié les portraits mis en scène, avec des idées saugrenues et des éclairages travaillés, je m’y suis donc mis, à côté du reste, jusqu’à en faire de plus en plus et à me faire vraiment plaisir. Idem pour l’argentique, que je continue d’apprendre et qui me prend de plus en plus de temps !
Comment es-tu passé de photographe traditionnel à artiste de light painting ?
Bref… parallèlement à tout ça, je faisais du light painting avec mon pote Hervé Baccara aka Gosh. Il graffait et je m’occupais de gérer la partie photo. Un beau jour, il est arrivé avec l’idée d’utiliser des pochoirs en light painting. On a testé, ça a fonctionné, on a peaufiné et on est arrivé à des résultat plutôt cool !
Après quelques projets communs, j’ai réalisé deux séries en solo en 2011, en Nouvelle-Zélande et au Vietnam. Ça s’appelait « Enlightened Souls », les âmes illuminées, le rapport est vite fait avec le côté fantomatique de mes silhouettes. Le projet à Christchurch était un hommage aux victimes du tremblement de terre qui avait eu lieu quelques mois plus tôt.
La série à Hanoi était plus un pied de nez à certains touristes vietnamiens qui avaient tendance à montrer une sorte de supériorité mal placée à l’égard des minorités dans un lieu hyper touristique du Nord du pays. J’ai donc lâché des gamins de ces minorités H’Mong et Red Dao dans les rues de la capitale. J’avais eu d’excellent retours suite à ces deux séries mais j’ai dû me concentrer sur d’autres projets après ça et je n’avais pas eu l’occasion de remettre le pied à l’étrier jusqu’à l’an passé.
Pfiou… désolé, cette brève présentation n’a plus rien de brève…
Parlons maintenant de ton projet photo « Northern Lights, l’âme du Nord » : en quoi ça consiste et comment as-tu eu cette idée ?
Le projet Northern Lights – L’Âme du Nord est né d’une collaboration avec une expédition polaire nommée Atka, du nom du voilier autour duquel tourne tout un petit monde. Suite à une rencontre avec leur antenne pédagogique, Atka Polar School, j’ai été invité à animer des ateliers de sensibilisation artistique et écologique avec des jeunes d’une dizaine d’années en France et au Groenland, ce qui m’a donné permis de rejoindre le voilier Atka lors de son hivernage dans l’Est du Groenland. L’équipe d’Atka m’avait entre autre remarqué grâce à mes deux séries Enlightened Souls et souhaitait que j’adapte ce type d’images au projet Atka.
Voilà comment, en mars dernier, je me suis retrouvé deux semaines sur un voilier de 18 mètres pris dans la banquise à quelques kilomètres d’Oqaatsut, un charmant petit village groenlandais de 29 habitants. J’avais pour mission de réaliser une cinquantaine de photos d’animaux en light painting pour le projet pédagogique et de monter un atelier de light painting avec les 7 enfants scolarisés dans le village. À côté de ça, pour passer le temps, j’avais apporté avec moi une dizaine de pochoirs plus « perso » représentant de vieux Inuits photographiés il y a une centaine d’année plus tôt.
Initialement, Atka devait faire son hivernage à Petropavlovsk, au Kamchatka. Je m’étais imaginé peindre des animaux géants tout en lumière dans un décor portuaire industrialisé et un peu glauque. Un chouette contraste pour illustrer la situation actuelle de la chute de la biodiversité. Mais non, le passage du Nord Ouest s’étant refermé trop tôt, l’hivernage avait lieu dans un décor incroyablement beau et qui n’avais plus rien à voir. J’ai du revoir mes plans.
J’ai eu la chance de lire quelques bons livres et récits sur le Groenland et les Inuits. Ça m’a renvoyé vers une thématique que j’avais abordé avec des portraits de minorités au Vietnam, à savoir l’équilibre de plus en plus fragile entre les traditions et le mode de vie contemporain des groupes minoritaires. À force de recherches, j’ai réussi à trouver tout un stock d’images relatives aux premières expéditions polaires. Je m’en suis inspiré pour réaliser les pochoirs qui ont servit à mon projet.
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Quel procédé as-tu utilisé pour prendre ces photos mystiques valorisant la culture inuit avec du light painting ?
C’est tout simple en fait, comme je l’ai dit j’ai utilisé des pochoirs combinés à la technique du light painting. Je vais développer un peu, histoire de crédibiliser ma démarche. Alors oui, pour les mauvaises langues, ça aurait pu être fait avec photoshop (ça m’aurait pris moins de 5mn pour dire vrai) mais ça aurait été bien moins drôle !
Voici donc pour le procédé. Je place mon pochoir dans mon cadre, comme je placerai un modèle. On parle ici de photographie en pose longue. Quand je déclenche l’obturateur, un coup de flash vient imprimer la silhouette découpée (si on a coupé une licorne on aura une licorne en lumière). De là, je retire le pochoir du cadre avant qu’il ne puisse créer d’artefact visible sur l’image finale. Je laisse ensuite la photo filer jusqu’à l’exposition correcte du décor. Voilà pour le secret de fabrication. Qui n’est pas un secret vu qu’internet foisonne de tutoriels sur le light painting au pochoir. Reste cependant qu’il faut quelques qualités en matière de photographie nocturne, mais comme le reste ça s’acquière avec la pratique.
J’inviterai toutefois celles et ceux qui voudraient s’entrainer au light painting (avec ou sans pochoir) à le faire dans un pays au climat plus clément. Après 6h à piétiner sur la banquise par -15°, on est content de retrouver les 14° à l’intérieur du bateau.
Le froid était supportable, -15° ça pique un peu mais on est loin des -40 -50° que Vincent Munier à endurer pour ramener ces fameuses photos de loups… bon, ça reste un climat peu adéquat à la pratique du light painting. C’était une drôle d’idée.
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Une telle expédition au Groenland doit être une sacré aventure ! As-tu rencontré des difficultés particulières ?
Oui, c’était une sacrée aventure ! Un endroit magique avec une énergie folle. Une des difficultés que j’ai rencontré provenait du fait que nous étions en mars et que la nuit ne tombait qu’à 20h alors que j’avais calé mon planning sur la nuit polaire et que je pensais faire du light painting toute la journée. Mon amplitude de travail s’en est trouvée plus que réduite et j’avoue que j’ai eu peur de ne pas réussir à tout faire.
Ma priorité était la cinquantaine de light paintings que j’avais promis de ramener aux classes de Chamonix et Metzeral. Les dernières nuits sur la banquise furent longues. Je devais rattraper plusieurs nuits de grand vent où je n’ai rien pu faire (même si j’ai essayé…).
La gestion du temps était donc la principale difficulté. J’ai eu de la chance d’avoir Marie Ferec à mes côtés, outre les images de making of qu’elle réalisait pour Atka, elle a été une assistante vraiment efficace, j’en profite pour lui dire merci et au reste de l’équipe Atka qui font un travail incroyable.
Les heures de jour m’ont tout de même permis de zoner un peu en journée et d’apprécier le pays, de rencontrer les locaux.
Quel message souhaites-tu faire passer avec ce projet artistique ?
De nombreux messages pourraient passer à travers ces images. Pour moi, elles représentent l’histoire d’un peuple qui à su s’adapter et s’accorder à un des environnements les plus austères de la planète. Une histoire en phase d’être oubliée par le reste du monde. Les Hommes se sont déracinés il y a longtemps déjà, nous sommes coupés de la terre et de la nature. J’ai l’immersion que nous évoluons dans une machine infernale qu’il nous est de plus en plus difficile de contrôler et avec laquelle l’homme soit-disant civilisé écrase tranquillement les rares peuplades qui vivent (ou vivaient) encore selon des valeurs plus profondes que l’argent, le confort, le progrès ou le pouvoir.
C’est une réalité qui m’attriste. Alors j’ai fait revenir des esprits Inuits sur la banquise et dans un village d’aujourd’hui, pour rendre ce côté traditionnel et ces valeurs tangible. Les Groenlandais, comme les autres peuples du Grand Nord, ont toujours su s’adapter, et je ne pense pas que leur culture et leurs traditions soient les plus fragiles à ce jours, même si le changement climatique aura des conséquences sur leurs vies.
J’ai eu l’occasion de me rendre au Groenland grâce à Atka et j’ai décidé de m’inspirer de la culture Inuit, mais quant à choisir un projet avec des fantômes de lumière issus de peuples aux traditions menacées, il y aurait malheureusement l’embarra du choix.
Un grand merci à Fabrice Wittner d’avoir répondu à nos questions. Et surtout de nous permettre de partager ce magnifique travail. Pour découvrir l’intégralité de la série de photos « Northern Lights – L’Âme du Nord », rendez-vous sur la page officielle du Behance de Fabrice.
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